reconnaissance.

La reconnaissance est d'abord une exigence de réalisme. Reconnaître c'est avouer, prendre acte sans faux semblants ni faux fuyants ce qui est. Ainsi la reconnaissance précède-t-elle paradoxalement la connaissance : pour connaître, il faut être dans des dispositions de modestie, accepter que les choses soient indépendamment de mon désir et de mes représentations. Cette attitude peut se nommer loyauté, humilité, simplicité; elle est toujours l'apanage d'une conscience non arrogante qui ne s'imagine pas que les choses lui obéissent. Les choses ne sont pas ce que j'en dis mais je cherche à dire ce qu'elles sont.Mon dire dévoile ce qui est avant que je ne le dise. 

La reconnaissance est une exigence de rigueur logique. Reconnaître c'est connaître en vertu d'une explicitation. La connaissance ne peut être immédiate : elle ne serait alors que sensation ou, au mieux, constat.Elle suppose le passage justifié rationnellement de l'obscur au clair, du confus au distinct. Pour cela, il faut attention et non précipitation; il faut identifier ce qui fonde en vérité les énoncés et leurs enchaînements. Il n'y a donc pas de connaissance sans réflexion inquiète, sans reprise du déjà connu ... et peut-être trop connu. Il n'est pas possible de connaître sans savoir que l'on connaît et pourquoi l'on connaît : c'est ici que la connaissance se fait reconnaissance.

La reconnaissance est une exigence de justesse : gratitude. Le donné, certes, peut se passer de donateur; le donné, certes, est ce qu'il est ...ni bien ni mal, ni beau ni laid. La lamentation sur l'absurdité du monde a toujours le panache de l'héroïsme triste; mais elle ne saurait triompher de la vie réellement vivante : il n'y a pas lieu de demander "pourquoi" à ce qui donne l'expérience de la plénitude en se donnant. Un moment de bonheur, un lever de soleil en montagne, une brise légère, le sourire de l'aimée, n'ont pas à passer devant le tribunal de la raison : le pourquoi est ici indécent et absurde !  Le donné n'est pas seulement l'être-là marqué par l'altérité voire l'hostilité : il se trouve que le donné est aussi un don; le présent n'est pas seulement un étant mais un "présent" offert. Par un miracle improbable, la réalité est en rapport de convenance avec les attentes que je porte en moi et, pour l'essentiel, j'ignore. Les expériences contraires ne sauraient ébranler la confiance originaire dans le monde. La vie quotidienne nous offre de bonnes raisons de ne pas désespérer de la vie : la beauté d'un nuage, le chant d'un oiseau, la compagnie d'un chat, une parole anodine. La reconnaissance est l'intelligence de ces petites choses qui inspirent et fortifient la confiance vitale.